Un CODA est un enfant d’un adulte sourd. Ce terme désigne une personne entendante élevée par un ou plusieurs parents sourds ou malentendants. Bien que cette définition semble simple, l’expérience qu’elle représente est riche et complexe. Être CODA signifie vivre dans un espace unique entre le monde des personnes sourdes/malentendantes et le monde des entendants. C’est une identité culturelle profonde, façonnée par la langue, la responsabilité et une manière de voir les choses que peu de personnes possèdent. Mais que signifie vraiment être CODA ? Cet article explore la position culturelle, l’identité unique et l’importance profonde des CODA, allant au-delà de la simple définition pour révéler une part vibrante et essentielle de la communauté sourde.
Comprendre l’acronyme

Pour comprendre pleinement l’expérience CODA, il faut d’abord apprendre les mots précis qui définissent cette identité. L’acronyme lui-même est un point de départ vers un vocabulaire culturel beaucoup plus riche. Il permet de saisir non seulement une relation unique, mais aussi toute une structure familiale et communautaire.
La définition de base
CODA signifie spécifiquement un enfant entendant né de parents sourds ou malentendants. C’est une situation familiale courante. Des recherches, notamment celles du Gallaudet University Research Institute, ont constamment montré que plus de 90 % des enfants de parents sourds entendent. Ce fait explique pourquoi l’identité CODA n’est pas rare, mais constitue une expérience importante et répandue au sein de la communauté sourde mondiale. Ces enfants grandissent biculturels et souvent bilingues, formant un lien naturel entre la culture familiale et la société entendante plus large.
Termes connexes
L’existence d’une famille entière d’acronymes apparentés témoigne d’une culture riche et consciente de soi, avec son propre vocabulaire. Elle reconnaît les différents rôles et générations liés au monde sourd.
- KODA : (Kid of Deaf Adult) - Ce terme est utilisé avec affection pour désigner les CODA plus jeunes, généralement ceux qui sont encore enfants.
- GODA : (Grandchild of Deaf Adult) - Il reconnaît la génération suivante, les petits-enfants entendants d’adultes sourds ou malentendants, qui partagent aussi une connexion unique avec la culture sourde.
- SODA : (Sibling of Deaf Adult) - Ce terme inclut les frères et sœurs entendants des personnes sourdes ou malentendantes, reconnaissant leur rôle et leur relation au sein de la famille.
- OHCODA : (Only Hearing Child of Deaf Adults) - Ce terme identifie une expérience plus précise, celle d’être le seul enfant entendant parmi les frères, sœurs et parents sourds, ce qui peut comporter des défis spécifiques.
Le pont culturel
Les CODA sont souvent décrits comme vivant sur un pont entre deux mondes : le monde des personnes sourdes/malentendantes et le monde des entendants. Ce n’est pas qu’une comparaison, c’est une expérience réelle et quotidienne. Dès leur plus jeune âge, ils deviennent des médiateurs culturels et linguistiques, un rôle qui façonne profondément leur développement, leurs compétences et leur vision du monde. Ils ne sont pas seulement des traducteurs, mais des ambassadeurs qui facilitent la compréhension dans les deux sens.
L’interprète naturel
Beaucoup de CODA commencent à interpréter pour leurs parents bien avant d’avoir reçu une formation formelle ou d’être émotionnellement prêts pour cette tâche. Cela va bien au-delà de la simple traduction des mots d’une langue des signes vers une langue orale, ou inversement. C’est un travail complexe d’interprétation de la culture, des indices sociaux, du ton et du sens.
Imaginez un enfant de sept ans passant un appel téléphonique au propriétaire à propos d’un problème de plomberie ou un enfant de dix ans à l’hôpital, chargé d’expliquer un diagnostic médical complexe à son parent. Ce rôle engendre un poids émotionnel énorme. La pression de devoir "faire juste" dans des situations cruciales est immense. Cette prise de responsabilités adulte précoce est une forme de parentification. Les CODA se retrouvent souvent à interpréter des conversations d’adultes — questions financières, résultats médicaux ou conflits interpersonnels — bien au-delà de leur âge, ce qui provoque une maturité rapide tout en créant un sentiment profond de connexion et de responsabilité envers le bien-être de leur famille.
Le changement de code comme mode de vie
Pour un CODA, le changement de code est aussi naturel que la respiration. Cela se manifeste à plusieurs niveaux, façonnant leur flexibilité sociale et mentale.
Le premier est le passage linguistique. Les CODA qui grandissent dans un foyer où une langue des signes comme l’American Sign Language (ASL) est la langue principale apprennent à passer aisément de la communication visuo-gestuelle de la langue des signes à la communication auditive-vocale d’une langue parlée. Leur cerveau est programmé pour traiter et produire la langue de deux manières fondamentalement différentes.

Plus profond encore est le changement culturel. Ils ajustent constamment leurs comportements et styles de communication. Dans les espaces sourds, la communication est souvent directe, expressive, et repose sur un langage clair du visage et du corps. Dans beaucoup de cultures entendantes, la communication peut être plus indirecte, subtile, et reposer sur le ton auditif. Un CODA apprend à naviguer dans les deux univers. Il sait quand maintenir un contact visuel soutenu, quand un "non" direct est approprié, et quand une explication plus douce et détournée est nécessaire. Cette adaptation constante rend les CODA exceptionnellement perceptifs et habiles socialement, capables de comprendre les dynamiques non dites avec une compétence développée au fil d’une vie.
L’identité CODA
Être CODA, c’est plus qu’un ensemble de compétences ou un rôle joué ; c’est une identité culturelle distincte. C’est une tapisserie tissée de fils de deux cultures différentes, créant un motif unique de forces, de défis et de perspectives. Cette identité est souvent complexe et se forme à travers un processus d’équilibre d’une double existence.
Le sentiment d’être "entre deux mondes"
Un thème central de l’expérience CODA est le sentiment d’être "entre deux mondes". Dans le monde sourd/malentendant, ils sont aimés et font partie importante de la famille, mais leur capacité à entendre les sépare naturellement de l’expérience fondamentale des personnes sourdes. Ils ne partagent pas la réalité vécue de naviguer dans un monde silencieux. D’un autre côté, dans le monde entendants, leur éducation, langue maternelle et cadre culturel sont souvent très différents de ceux de leurs pairs. Leur "normal" n’est pas le même.
Cela peut entraîner un sentiment de ne pas appartenir pleinement à l’un ou l’autre groupe. On peut le voir lors d’une simple réunion de famille. Le CODA peut être la seule personne capable de communiquer facilement à la fois avec ses proches sourds signant dans la cuisine et ses cousins entendants qui discutent dans le salon. Il agit comme un centre social, mais peut se sentir observateur des deux groupes, à distance de l’expérience centrale partagée par chacun. Cela peut être isolant, mais cela construit aussi un fort sens d’autonomie et une perspective unique, attentive, sur les interactions humaines.
Défis et forces
Les circonstances uniques de l’éducation des CODA présentent une dualité, où chaque défi développe souvent une force correspondante. Cela crée des individus résilients, empathiques et exceptionnellement compétents.
| Défi | Force résultante |
|---|---|
| Parentification et responsabilités précoces. | Haute maturité, empathie et compétences en résolution de problèmes. |
| Exposition à l’audisme, préjugés ou idées fausses sur leurs parents. | Défense engagée pour la communauté sourde/malentendante et les droits des personnes en situation de handicap. |
| Sentiment d’isolement culturel ou d’être "entre deux mondes". | Liens solides et durables avec d’autres CODA partageant cette expérience unique. |
| Rôle de pont constant dans la communication. | Adaptabilité exceptionnelle, perception sociale et compétences multilingues/multiculturelles. |
La diversité des expériences
Il est important de reconnaître qu’il n’existe pas une seule "histoire CODA" uniforme. L’identité est un spectre et l’expérience est façonnée par une grande variété de facteurs. Les généralités peuvent aider à la compréhension, mais elles ne reflètent pas la richesse et la diversité au sein de la communauté.
Les variables clés incluent :
- Maîtrise linguistique : Une langue des signes était-elle la langue principale à la maison ? Certains CODA sont des locuteurs natifs en langue des signes, tandis que d’autres ont une maîtrise moindre selon le niveau auditif ou les choix de communication de leurs parents.
- Identité parentale : Les parents étaient-ils sourds culturellement et fortement impliqués dans la communauté sourde, ou s’identifiaient-ils plutôt comme malentendants et vivaient principalement dans la société entendante ?
- Géographie : Grandir dans une ville avec une importante population sourde et une école spécialisée offre une expérience différente que d’être élevé en zone rurale avec un accès limité à une communauté signante.
- Structure familiale : La présence de frères et sœurs sourds/malentendants, frères et sœurs entendants ou autres proches sourds/malentendants influence significativement le rôle et l’identité d’un CODA au sein de la famille.
Reconnaître ce spectre offre une représentation plus juste et respectueuse, dépassant les stéréotypes pour honorer le parcours unique de chaque individu.
Les CODA sous les projecteurs
L’identité CODA, autrefois peu connue en dehors de la communauté sourde, a gagné une reconnaissance publique importante ces dernières années. Cela est dû au travail des organisations dirigées par des CODA et à la visibilité des CODA dans les arts, le plaidoyer et les médias. Leur présence renforce l’importance de cette identité et offre des exemples concrets du rôle de « pont » qu’ils jouent.
Une part essentielle de la culture
Les CODA ont toujours été un élément fondamental du tissu de la communauté sourde, mais l’organisation formelle de ce groupe d’identité a contribué à solidifier leur place. CODA International, une organisation à but non lucratif, a été fondée en 1983 pour offrir un espace aux Enfants d’Adultes Sourds afin de célébrer leur héritage et d’explorer leur identité biculturelle. À travers des conférences, des retraites et des ressources, l’organisation construit une communauté mondiale, offrant soutien et reconnaissance à une expérience souvent vécue dans l’isolement. Les CODA deviennent fréquemment des leaders communautaires, des interprètes professionnels, des enseignants, des artistes et des défenseurs qui consacrent leur vie et leur carrière à soutenir et enrichir le monde des personnes sourdes et malentendantes qui les ont élevés.
Des CODA remarquables
La visibilité des CODA dans l’espace public a joué un rôle important pour faire connaître le terme et son sens au grand public.
- Emilia Jones : L’actrice principale du film CODA, récompensé par un Oscar en 2021. Son interprétation puissante et son engagement à apprendre la langue des signes américaine (ASL) pour ce rôle ont permis de faire découvrir l’expérience CODA à un large public international.
- Louise Fletcher : L’actrice oscarisée a prononcé l’un des discours d’acceptation les plus mémorables de l’histoire des Academy Awards en 1976. Elle a utilisé l’ASL depuis la scène pour remercier ses parents sourds/malentendants, marquant un moment historique de reconnaissance publique.
- Edward Miner Gallaudet : Figure historique majeure, ce CODA était le fils de Thomas Hopkins Gallaudet, un des fondateurs de l’éducation des personnes sourdes en Amérique. Edward fut le fondateur et premier président de ce qui est aujourd’hui l’université Gallaudet, la première université mondiale pour étudiants sourds et malentendants.
- Marlon Weyeneth : CODA, acteur, et interprète/consultant en ASL reconnu, il a joué un rôle clé pour assurer une représentation authentique des personnes sourdes dans les médias, notamment en travaillant sur le film CODA.
Ces personnes, par leur travail et leur visibilité publique, ont contribué à expliquer l’expérience CODA et à défendre la communauté sourde.
Bien plus qu’une étiquette
Comme nous l’avons exploré, la signification de CODA va bien au-delà d’un simple acronyme de quatre lettres. Elle désigne une identité biculturelle et bilingue unique, façonnée à l’intersection de deux mondes. Elle représente une vie entière à naviguer entre deux manières d’être, à voir le monde à travers un double regard qui est à la fois un privilège et une responsabilité.
Les CODA ne sont pas seulement des enfants d’adultes sourds ou malentendants ; ce sont des ambassadeurs culturels, des interprètes à vie et des défenseurs passionnés. Ils portent un héritage de résilience, d’empathie et une compréhension profonde du lien humain sous toutes ses formes. Comprendre l’expérience CODA est essentiel pour apprécier pleinement la richesse et la diversité de la culture sourde et des familles qui en sont le cœur. C’est une identité définie par l’amour, la langue et une perspective unique qui nous enrichit tous.