Explorer la culture sourde : au cœur d’une communauté vivante de langue visuelle

Qu’est-ce que la culture sourde ?

La culture sourde est la culture d’un groupe particulier de personnes qui partagent une langue et une communauté. Elle ne se définit pas par l’incapacité à entendre, mais par des expériences communes, une histoire fière, des valeurs importantes et une langue commune qui utilise les yeux plutôt que les oreilles. Cette culture est une expérience humaine complète et pleine, distincte du point de vue médical qui considère souvent la surdité comme une déficience. La conviction principale est que le fait d’être sourd constitue une identité forte, et non un problème à résoudre.

Une culture, pas une condition

La différence dans la façon de penser à ce sujet est très importante. La vision médicale considère la surdité comme une « perte auditive », c’est-à-dire quelque chose qui manque et qui se mesure au niveau des sons qu’une personne ne peut pas entendre. La vision culturelle voit les personnes sourdes comme un groupe unique disposant de leur propre langue et de règles sociales spécifiques. La langue des signes n’est pas un substitut à la langue orale ; elle est le fondement même de la culture.

Pour comprendre cela, il faut différencier le « grand D » Deaf du « petit d » deaf. Le « deaf » en minuscule est un terme médical se référant à l’état physique de ne pas entendre. Le « Deaf » en majuscule fait référence à une identité culturelle. Une personne Deaf participe activement à la culture sourde, utilise la langue des signes et se sent connectée à la communauté sourde. Cet article se concentre sur le monde des personnes culturellement Deaf.

Valeurs culturelles fondamentales

La communauté sourde repose sur un ensemble de valeurs de base qui influencent la manière dont les personnes interagissent, ce qu’elles considèrent important et leur vision du monde. Ces idées ont émergé naturellement de l’expérience partagée de vivre dans un monde perçu par la vue.

L’importance de la langue des signes

La langue des signes — comme la langue des signes américaine (ASL) — est le trésor culturel le plus précieux. Elle va au-delà d’un simple moyen de communication ; c’est la vie même de la communauté, le moyen de raconter des histoires, de créer de l’art et de se connecter aux autres. C’est une langue des yeux et des mains, complète et détaillée. Cette valeur explique le fort soutien à l’éducation dans les écoles sourdes où l’ASL est la langue principale d’enseignement, créant ainsi un environnement où les élèves ont un accès total au langage dès le plus jeune âge.

La valorisation de l’expérience visuelle

Le monde est perçu et parcouru grâce à la vue et au toucher. Cette façon d’expérimenter la vie influence tout, de la manière dont les personnes communiquent à la façon dont les espaces sont conçus. Lors d’une conversation en langue des signes, maintenir le contact visuel est extrêmement important ; c’est l’équivalent de l’écoute. Dans un espace centré sur les Deaf, les sonnettes sont remplacées par des éclairages clignotants, et les réveils vibrent pour éveiller la personne. L’environnement est adapté au sens de la vue, pas à celui de l’ouïe.

Le besoin de partage d’informations

Au fil de l’histoire, les personnes sourdes se sont souvent vues refuser l’accès à des informations que les personnes entendantes tiennent pour acquises. Cela a créé une valeur culturelle profonde pour un partage d’informations ouvert, direct et complet. Rien n’est laissé à supposer, et les détails ont de l’importance. Cela se manifeste notamment dans la « Deaf goodbye », un long rituel d’au revoir où les membres de la communauté partagent toutes les dernières nouvelles, mises à jour et projets avant de se séparer. Ce rituel garantit que chacun reste connecté et informé.

Des liens communautaires forts

Un fort sentiment de loyauté de groupe naît de l’expérience partagée de vivre dans un monde centré sur les entendants. La communauté sourde offre un espace d’appartenance où l’identité d’une personne est soutenue, et non remise en question. Cela se traduit par l’importance des clubs sourds, des ligues nationales de sports telles que la USA Deaf Sports Federation, et des festivals internationaux. Ce ne sont pas seulement des lieux sociaux ; ce sont des organisations vitales pour préserver et célébrer la culture sourde.

Gain sourd, pas perte auditive

Une des idées les plus puissantes issues des études sourdes est de changer notre façon de penser la surdité — non pas comme une perte, mais comme une forme de diversité sensorielle et mentale qui offre des avantages uniques. Cette idée, appelée « Deaf Gain », s’oppose directement au langage négatif du modèle médical.

Démystifier la « perte auditive »

Le terme « perte auditive » présente automatiquement la surdité comme un manque. Cela suggère que la personne est incomplète, privée d’un sens qui doit être réparé ou compensé. Cette vision a historiquement conduit à des règles et pratiques visant à « normaliser » les personnes Deaf, souvent au détriment de leur identité culturelle et de leurs droits linguistiques. Ce terme fait de l’expérience des entendants la norme et la seule façon valide d’être.

Présentation du « Deaf Gain »

Le « Deaf Gain » renverse ce récit. Conçu par le Dr Aaron Williamson et développé par la suite dans le livre de 2014 « Deaf Gain: Raising the Stakes for Human Diversity », ce concept suggère qu’il existe des bénéfices clairs sur les plans mental, créatif et culturel qui découlent du fait d’être Deaf. Il affirme que l’expérience Deaf apporte une perspective unique et précieuse à la diversité humaine dans son ensemble.

Voici quelques exemples concrets de Deaf Gain :

• Meilleures compétences visuo-spatiales : de nombreuses études ont montré que les utilisateurs à vie de la langue des signes possèdent souvent des capacités supérieures en vision périphérique, raisonnement spatial et traitement rapide des informations visuelles.
• Potentiel créatif de la langue des signes : la capacité d’exprimer des idées en trois dimensions génère des formes d’art uniques. La poésie et le théâtre en ASL peuvent transmettre un sens avec une profondeur physique et émotionnelle qu’aucune langue orale ne peut reproduire.
• Une résolution de problèmes différente : en vivant le monde différemment, les personnes Deaf développent des approches uniques face aux défis et apportent de nouvelles solutions dans des domaines tels que l’architecture ou la technologie. Le Deaf Gain suggère que l’humanité est enrichie, et non diminuée, par la présence des personnes Deaf.

Le cœur de la culture

La langue des signes ne consiste pas à mimer des mots ou à assembler des gestes ; elle forme une famille de langues complètes et complexes possédant leur propre grammaire, structure des phrases et différences régionales. Pour ce guide, nous nous concentrerons sur la langue des signes américaine (ASL), principale langue des signes aux États-Unis et dans certaines régions du Canada.

Bien plus que la forme des mains

L’ASL est une langue entièrement développée. Une erreur fréquente consiste à la considérer comme une version visuelle de l’anglais, alors que sa grammaire et sa structure des phrases sont totalement différentes. Chaque signe en ASL est composé de plusieurs éléments clés qui fonctionnent ensemble pour créer du sens.

• Forme de la main : la forme de la ou des mains lors de la réalisation d’un signe.
• Emplacement : où le signe est effectué par rapport au corps (par exemple, sur le front, la poitrine ou dans l’espace neutre).
• Mouvement : l’action de la ou des mains, comme un tapotement ou un mouvement circulaire.
• Direction de la paume : l’orientation de la paume (par exemple, vers le haut, le bas, vers le corps).
• Marqueurs non-manuels (MNM) : composante grammaticale cruciale. Les expressions faciales, mouvements des sourcils et posture du corps fournissent des informations essentielles. Par exemple, lever les sourcils transforme une affirmation en question fermée.

Raconter des histoires, poésie et art

La nature visuelle de l’ASL en fait un moyen incroyablement puissant de créer de l’art. La culture sourde possède une riche et célébrée tradition narrative, où un interprète talentueux peut incarner plusieurs personnages, utiliser l’espace de façon créative et offrir une expérience cinématographique au public. La poésie en ASL utilise le rythme, la répétition et la métaphore visuelle d’une manière propre à cette langue. Des organisations telles que le National Theatre of the Deaf ont présenté la beauté des performances en langue des signes à des publics internationaux pendant des décennies, démontrant la profonde capacité artistique de la langue.

La langue des signes est-elle universelle ?

Il s’agit d’une question courante et importante, et la réponse est non. Tout comme il existe de nombreuses langues orales, il existe également de nombreuses langues des signes. Selon la Fédération mondiale des sourds, plus de 300 langues des signes différentes sont utilisées dans le monde. La langue des signes britannique (BSL), la langue des signes française (LSF) et la langue des signes japonaise (JSL) sont toutes des langues différentes avec leur propre grammaire et vocabulaire. L’ASL, en fait, est historiquement plus proche de la LSF que de la BSL.

Dans la communauté

La structure sociale de la communauté sourde est construite sur des traditions et des manières spécifiques, toutes issues de ses valeurs fondamentales et de son mode de vie visuel. Comprendre ces règles est essentiel pour apprécier la culture de l’intérieur.

Les règles de communication

Se déplacer dans une conversation en langue des signes obéit à un ensemble particulier de règles. Pour attirer l’attention de quelqu’un à distance, un geste de la main est approprié. S’il est proche, une légère tape sur l’épaule est la norme. Dans une pièce, allumer et éteindre les lumières deux ou trois fois est un moyen efficace de capter l’attention de tous.

Une des règles les plus mal comprises par les personnes extérieures concerne la manière de traverser une pièce. Si deux personnes utilisent la langue des signes, l’instinct d’une personne entendante est d’attendre une pause ou de passer discrètement sous leur conversation. Cela est en réalité perturbant. La bonne manière est de traverser directement leur espace de communication en langue des signes sans hésitation. Il s’agit d’une interruption brève et attendue, alors que s’arrêter ou se baisser attire l’attention et brise le flux de la communication.

Enfin, être direct est un élément clé dans la communication des personnes sourdes. Fondée sur la valeur du partage d’informations, les conversations sont souvent honnêtes et vont droit au but. Ce qu’une personne entendante peut percevoir comme de l’impolitesse est, dans la culture sourde, un signe de respect et de clarté.

Centres communautaires et événements

Depuis des générations, la culture sourde s’est développée dans des espaces physiques spécifiques. Les écoles résidentielles d’État pour les personnes sourdes étaient historiquement les principaux lieux où cette culture a grandi, où des élèves venus de différents horizons se rassemblaient et construisaient une identité collective à travers une langue commune.

Les clubs sourds ont longtemps été le cœur social et politique de la communauté tout au long du XXe siècle. Ils étaient des lieux d’échange d’informations, d’organisation et simplement des espaces de communication aisée. Bien qu’internet ait modifié les interactions sociales, des événements majeurs comme les Deaflympics, le congrès de la World Federation of the Deaf (WFD) et les festivals régionaux restent essentiels. Nous décrivons souvent la sensation d’entrer dans un espace sourd comme un « retour à la maison », un lieu où la communication est fluide et où l’identité est pleinement soutenue.

Un guide pour des interactions respectueuses

Pour les personnes entendantes, interagir avec des personnes sourdes peut être intimidant si les règles culturelles ne sont pas connues. L’essentiel est d’aborder la situation avec respect et une volonté de communiquer. L’effort est toujours apprécié.

Conseils pour une communication positive

Voici une liste simple des choses à faire et à ne pas faire afin de favoriser une interaction positive et respectueuse.

À faire :
* Maintenez le contact visuel. C’est la façon de montrer que vous écoutez et êtes engagé.
* Faites face à la personne directement. Assurez-vous d’être dans une zone bien éclairée, car certaines personnes peuvent utiliser la lecture labiale pour faciliter la communication.
* Utilisez des gestes, écrivez ou utilisez un téléphone pour taper. Toute tentative de combler la barrière de communication est meilleure que d’abandonner.
* Parlez directement à la personne sourde, même en présence d’un interprète. L’interprète est un facilitateur, pas un partenaire de conversation.

À ne pas faire :
* Ne criez pas. Cela n’aide pas à la compréhension et peut sembler agressif. Le volume ne crée pas de clarté.
* N’exagérez pas vos mouvements de bouche ni ne prononcez trop les mots. Cela modifie en fait les patterns labiaux et rend la lecture labiale plus difficile, pas plus facile.
* Ne renoncez pas rapidement. Faites preuve de patience. Si une méthode ne fonctionne pas, essayez-en une autre.
* Ne dites pas « Je te le dirai plus tard ». C’est une des expériences les plus frustrantes et excluantes pour une personne sourde. Prenez le temps pour qu’elle soit incluse.

Accueillir un monde riche de diversité

La culture sourde n’est pas une partie plus petite du monde entendant. C’est une culture complète et distincte, fondée sur une langue unique, des valeurs partagées et un fort sentiment d’identité. C’est une communauté qui a transformé ce que le monde extérieur perçoit comme une absence en une source de force, de créativité et de lien.

Une culture à célébrer

En changeant notre regard d’une mentalité de « perte » à une mentalité de « gain », nous commençons à percevoir la grande valeur que la culture sourde apporte à la diversité humaine. Le monde des personnes sourdes n’est pas un monde de silence. C’est un monde rempli d’une langue visuelle vibrante, d’une profonde expression artistique et de liens communautaires forts. Nous vous invitons à continuer à apprendre, à devenir allié·e, et à célébrer l’expérience riche et diverse qu’est la culture sourde.